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L’art bulgare et les organisateurs d’expositions

A Plovdiv, entre deux verres de mastiqua au restaurant Big Ben ou ailleurs, j’ai souvent discuté avec mes collègues bulgares organisateurs d’expositions.
J’ai surtout essayé de proposer des projets communs sur le plan organisation d’expositions ou événementiels artistiques consacrés à l’art du collage.
Si en face de moi mes partenaires bulgares ont l’air enthousiaste et désireux de travailler avec moi, à chaque fois, au fil de la conversation et des avancées protocolaires propres à toute organisation, nous finissons toujours par constater nos divergences sur la façon d’organiser.
Etrangement l’organisateur bulgare, ou l’artiste indépendant qui souhaite organiser une manifestation, ne raisonne qu’en terme de sponsor : tout son projet est là, toute sa bonne volonté pour le réaliser semble présente, mais tant que l’organisateur bulgare ne peut mettre un nom sur le sponsor éventuel qui est censé régler l’aspect financier du projet ( ou régler le problème du lieu, comme le prêt d’un espace ou d’une galerie ) il ne bouge pas, il ne bouge plus.
Car à l’inverse de ma propre stratégie qui est basé sur « compte seulement sur toi même » et seulement après, lorsque tu as tout réglé par tes propres moyens, regarde s’il est possible d’obtenir de l’aide ; les projets bulgares prennent la démarche contraire : compte sur l’aide, et si tu l’obtiens , mets toi à l’ouvrage sur le projet.
Ce n’est pourtant pas faute, dans leur conversation – donc virtuellement – d’aborder tous les aspects d’une exposition, et de placer chaque chose à sa place : l’organisateur organise (aspect culturel), l’artiste participe (aspect créatif ), le sponsor paye (aspect budgétaire), les médias relayent l’information (aspect publicitaire).
Dans ce schéma très bureaucratique chacun à son propre rôle, et les cloisons sont fixées : personne ne doit dépasser la tête de sa propre cloison : tout est réglé comme du papier à musique, voir même comme un défilé.
Mais comme le nerf de la guerre est – comme partout – l’aspect financier, tant qu’il n’y a pas de sponsor (une entreprise pour payer les cartons d’invitations, un organisme pour prêter un local d’exposition, etc.…) , tout reste donc à l’état d’ébauche.

Les sponsors et les contes de fées ne courant pas les rues, les bouteilles de mastiqua se vident autour de la table, et les gens continuent à établir leur projet…qui, neuf fois sur dix reste à l’état de projet, le projet à l’état d’ébauche, et l’ébauche une simple occasion de parler autour d’un verre.
C’est sûrement là une différence de culture, ce besoin systématique d’avoir inévitablement un sponsor.
Pourquoi me suis-je souvent demandé, ces gens pleins de bonne volonté et pourvus d’une sincérité déroutante ne veulent t’ils pas aborder eux mêmes l’aspect financier d’une exposition, le budget prévisionnel, la clef de l’indépendance ?
Est ce par une sous estimation permanente de leurs capacité à gérer tous les aspects ; est-ce par peur de rompre avec les habitudes, par peur d’assumer entièrement leur propre destinée, ou par un mélange des trois à la fois.
Je le pense, et je retrouve dans cette attitude ( « Plovdiv est un petit village…ne bouleversons pas les habitudes…), une certaine façon de se sous estimer propre à beaucoup d’artistes bulgares dont le talent ne manque pas.
Il est vrai que très souvent en Bulgarie ce sont les entreprises qui parrainent les manifestations artistiques : l’art n’ayant pas ou peu de budget étatique – ce qui se comprend , avec 12% de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté (suivant la Banque Mondiale) l’urgence est ailleurs.
D’ailleurs il faut bien reconnaître que l’art est plus appréciable pour un peuple lorsque celui ci mange à sa faim… De par cet aspect des choses l’art survit donc par la générosité des sponsors.
Mais n’est ce pas là aussi une façon pour l’artiste de faire allégeance aux groupes industriels et sociétés commerciales, comme jadis les poètes français faisaient allégeance au roi, n’est ce pas là perdre le goût de prendre et de conquérir sa propre liberté , même si la liberté et l’indépendance demandent beaucoup de courage et de grands sacrifices.
Cette attitude à ne pas vouloir aborder soi même l’aspect budgétaire et d’attendre le prince charmant qui viendra délivrer l’artiste endormi, n’est ce pas là une façon de rendre l’art à l’état de spectacle ( des artistes payés pour pas grand chose à réaliser en direct des statues sur le parvis d’une foire commerciale…), dans le sens dérisoire du terme, n’est-ce pas là un réel danger pour l’art et la création bulgare ?
Dépendant du salaire et du bon vouloir des entreprises l’artiste bulgare risque un jour de ne plus créer que ce qui est présentable aux goûts des entreprises et des sponsors – et que le goût du public ainsi forgé à voir toujours la même chose, un art d’apparat, un art qui survit sous une forme financière d’esclavage – un art officiel, non étatique mais régi par la loi du commerce et des multinationales, un art réduit à n’être qu’un complément, ou un alibi culturel aux entreprises commerciales ? Ce problème se pose dans beaucoup d’autres pays, comme en France, même si cela n’est pas toujours sur le même ordre, et la seule réponse à cet ordre là est l’indépendance de l’artiste, et l’indépendance de l’organisateur.
Le sponsor ne devant être qu’un partenaire, un partenaire honnête et primordial certes, mais ne devant jamais être la clef de voûte des projets.
Et si il est bon que l’art aille au public – dans la rue, les entreprises, les manifestations – cela doit être en tant qu’acteur du déplacement de son lieu de représentation, et non pas dans une comédie de boulevard mise en scène par une entreprise. Il ne faudrait pas, autant pour l’artiste que pour le respect du public, confondre le spectacle de l’art et l’art du spectacle, confusion mortelle, particulièrement répandue dans nos sociétés industrielles et qui a rendu les sources de création, en France comme ailleurs, aussi lamentable que les artistes ont souhaité – et accepté – de l’être.
Mes amies et amis bulgares, mes collègues, levez vous plutôt que de lever vos verres à vos projets !
L’art est en marche, et l’art ne doit être géré que par les artistes.
Les hommes debout marchent plus vite que les hommes assis.

Pierre-Jean Varet

Lui écrire: ARTCOLLE@aol.com

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